Brasserie des Tours, Carouge. Il fait beau, il fait chaud, juste un foutu virus qui empêche la vie de reprendre son cours habituel. Les choses tendent pourtant à s’arranger. Il est 17h15 et ce mardi 19 mai, Anthony Sauthier n’avait pas uniquement rendez-vous pour cet interview conjointe avec son frère, Gregory, mais également pour la reprise des entrainements en groupe après 2 mois de confinement. Une bonne heure passée à discuter pelouses, tribunes, Servette et malheureusement aussi un peu d’un club honni et de son président.
D’où vient l’amour du Servette dans la famille Sauthier?
Gregory : Du papa, du grand-papa, de l’arrière grand-papa. Il y a un temps, même mon oncle du Valais était pour Servette. Il est devenu pour Sion ensuite.
Anthony: Par contre notre grand-père, ça a toujours été Servette. Encore maintenant.
Gregory: Il a toujours été aux Charmilles, il habitait à Vieussieux, à 600 mètres du stade. Du coup on y allait tout le temps.
Anthony: Nous on était petits, on se rendait pas encore compte de la grandeur du club. On était au stade, on était content. Il y a du monde, des chants, on regardait pas le match. On était en latérale.
Gregory: Tribune B!
Anthony: Ouais. On était tout en haut.
Votre premier souvenir au stade?
Anthony : Le premier match dont je me souviens vraiment, c’était le dernier aux Charmilles. Contre YB. Après j’ai seulement des petits souvenirs d’avant.
Gregory: Moi aux Charmilles il me semble que le premier que j’ai, c’était en 1994, je ne suis plus sur contre qui, mais je crois que Neuville avait mis un triplé.
Vous alliez un peu dans la Section Grenat à l’époque?
Gregory: Pas quand on était gamins. Mais en Tribune B à l’époque il y avait un passage dans le coin de la tribune pour passer du côté de la SG.
Anthony : On allait direct.
Gregory: On allait directement. On était vraiment dans le kop, à droite, je me rappelle. Le kapo c’était Denis. Mais après ils avaient bloqué l’accès et on pouvait plus y aller comme ça.
Ca représentait quoi pour vous les Charmilles?
Anthony: Encore maintenant… Pour moi la Praille, en tant que joueur, j’aime bien. Ca résonne bien, quand il y a du monde. Mais les Charmilles c’était vraiment le stade mythique. Où ça pue la pisse, les saucisses! Il y avait pas de loges. Tu te rappelles les loges aux Charmilles?
Quelques sièges un peu rembourrés!
Anthony: Il y avait pas tout ce qu’il y a maintenant, c’est clair. Mais pour moi c’est vraiment le stade mythique de Genève.
Tu as joué en club Gregory?
Je jouais il y a encore trois ans.
A quel âge vous avez senti qu’il y avait une différence de niveau?
Gregory: Ah mais j’étais deux fois meilleur que lui! Anthony dis-le!
Anthony: Non pas deux fois meilleur. Mais t’es plus âgé. T’as eu avant moi l’opportunité d’aller à Servette. On était à Carouge les deux. C’était vraiment le top.
Gregory: Mais au bout d’un moment j’ai lâché. Anthony lui il a continué à bosser. J’avais été convoqué à des tests avec Servette et comme un âne j’y suis pas allé.
Anthony: Et puis moi il y a Lanza qui est venu me chercher quand j’avais 13 ans. J’ai pas hésité.
Gregory: Tu te souviens comme ils l’aimaient pas à Carouge à l’époque? Il était là à tous les matchs, à observer les joueurs. Et il y avait pas le partenariat Carouge-Servette. Les derbys à l’époque c’était la guerre! A Carouge il fallait vraiment taper l’équipe de Lanza.
Anthony: Mais on en a pas beaucoup perdu!
Gregory: J’ai dû jouer au moins dix fois contre Servette, on les a battu qu’une fois! On prenait toujours des 3-0, des 4-0…
Anthony: Lanza était strict, mais c’était vraiment un formateur incroyable. Même maintenant je suis toujours en contact avec lui.
Gregory: C’est une belle personne.
Anthony, c’était ton rêve de rejoindre le Servette?
Anthony: Tu sais moi je me disais pas : je veux être footballeur professionnel. A cet âge-là t’as juste envie d’aller à l’entrainement, de t’amuser. Et puis là avec Servette j’ai compris que même en C Inter c’était déjà un autre niveau. Mais on rêvait pas de devenir pro.
Gregory: Nous on allait aux Charmilles et c’est tout ce qui nous intéressait! On regardait même pas les matchs européens. Vraiment focus Servette.
Anthony après l’Académie tu es parti à Sion, sans avoir jamais porté les couleurs du club en pro. Pourquoi Sion? T’avais vraiment aucune autre offre?
Anthony: J’étais à Servette depuis un petit moment et je sentais qu’on comptait pas trop sur moi. Le club était en Ligue B et c’était compliqué pour les jeunes du club à l’époque de se faire une place. On était peut-être deux jeunes à intégrer de temps en temps la première équipe. J’étais pourtant régulièrement intégré, j’étais sur le banc certains matchs. Mais voilà, il y a Frédéric Chassot qui a appelé mon père, et je me suis dit que c’était une opportunité de jouer en Ligue A. C’était une décision super difficile à prendre. Mais au final les gens l’ont assez bien pris. Sûrement aussi parce que j’étais jeune. Mais vraiment ça m’a forgé mon mental de partir à Sion. C’était pas facile.
Comment tu as appris son transfert, Gregory?
Gregory: Tu sais comment je l’ai appris? J’étais au boulot un matin, je buvais mon café. A l’époque dans Le Matin il y avait une rubrique sur les clubs romands qui s’appelait Salade de Crampons. C’est là que j’ai appris qu’Anthony avait signé à Sion. Il me l’avait caché. Et puis là t’as que tes deux yeux pour pleurer. Mais bon tu l’aimes quand même bien le frangin.
Anthony: Tu te rappelles de ce match où t’étais devant le stade à Sion et les gens t’ont pris pour moi?
Gregory: Je leur disais que je m’étais fait une petite contracture derrière la cuisse et je signais des autographes! Et lui il rentre dix minutes après sur le terrain!
Ca c’est plutôt bien passé dans le Valais au début.
Anthony: Oui j’ai tout de suite fait pas mal d’entrées, j’étais vraiment content. J’ai commencé à être titulaire, à jouer des gros matchs. On a aussi gagné la Coupe. C’est des souvenirs magnifiques. J’ai pas de regrets d’être parti. C’est seulement à la fin que ça c’est moins bien passé.
Tant mieux pour nous!
Anthony: Oui et puis voilà, connaissant la maison, c’était pas étonnant. Quand il te veut plus Constantin il te calcule plus, t’es juste une merde. Du coup je suis revenu en 2013 d’abord en prêt. En fait Constantin ce qu’il fait quand tu arrives en fin de contrat et que t’es assez jeune, il peut te prêter mais il te re-signe une année derrière. Comme ça si jamais tu exploses il peut quand même faire de l’argent.
J’avais envie de revenir à Servette. On était à 4 points de Vaduz à la trêve. Super ambiance aussi, comme avec le groupe actuel. Une bande de potes. Et puis Zurberbühler et Cantaluppi sont arrivés au club à Noël. Ils ont voulu tout changer dès la préparation hivernale, les joueurs, tout. On recommence le championnat en faisant quelques mauvais résultats, Crettenand saute avec moi. Ensuite Pasche et Routis sautent. On voyait certains joueurs alignés… Même Jean-Michel Aeby, qui était coach à ce moment-là, n’avait plus son mot à dire. Du coup on allait jouer avec les M21 de Niederhauser, qui était tout content de nous récupérer.
Zuberbühler et Cantaluppi ne me voulaient plus à la fin de la saison et je suis retourné à Sion. Zubi il voulait faire président, vice-président, directeur technique.
Gregory: Il a même conduit le car! Il faisait tout le gars!
Et t’es quand même revenu une seconde saison en prêt.
Anthony: Oui la deuxième année il y a Cooper qui est arrivé comme coach. On a eu une discussion et il me voulait. J’avais envie de prendre ma revanche et donc je reviens. Avec Cooper c’était pas le plus beau football qu’on ait joué…
Gregory: Mais c’était efficace!
Anthony: Oui et je crois que je n’ai jamais été aussi prêt quand j’arrivais aux matchs. Il y avait Adam Owen, qui était aussi préparateur physique du Pays de Galles. On gagnait souvent les matchs sur la fin. Je me rappelle qu’on avait pas perdu un match contre Lausanne de la saison. Certains disaient que ce n’est pas Servette, c’est pas le beau jeu. J’étais d’accord avec eux, même nous sur le terrain des fois on se faisait un peu chier. Et puis après j’avais envie de rester définitivement et on a réussi à trouver un accord.
Gregory: Il a fallu ramer!
Constantin qui pinaillait?
Anthony: Constantin qui pinaillait et Servette qui promettait des trucs et au final ça c’est pas passé… Cooper me disait “C’est tout bon, tu peux venir signer le contrat tout est prêt”. Et en fait personne n’avait parlé avec Sion, Constantin était pas au courant. Ca a duré, ça a duré…
On avait un match amical avec les M21 de Sion et je suis allé dire au coach, Admir Smajic, que Servette me voulait et que je signerai normalement lundi. On était samedi. Je lui ai dit soit tu me fais jouer, de toutes façons je me donnerai à 100%. Soit tu décides de mettre un joueur qui va jouer toute la saison. Il revient 15 minutes après et me dit c’est tout bon, tu peux aller à Genève. Du coup je vais saluer l’équipe des M21, vraiment plein de gars sympas, un bon groupe, et je viens à Genève. Lundi rien. Mardi toujours rien. J’ai appelé Sébastien Fournier, qui m’a aidé.
Gregory: C’était quand Quennec venait de quitter la présidence. Un gros bordel.
Anthony : La nouvelle équipe avec Alain Studer avait récupéré plein de casseroles. Je suis finalement revenu, en Première Ligue Promotion. Beaucoup de monde me disait que c’était une erreur de revenir, que j’allais m’enterrer. On a réussi à être promus, heureusement d’ailleurs parce qu’il y avait Cham qui nous a ennuyé toute la saison.
Gregory est-ce que tu étais au match contre Zurich en 2017 quand Anthony a mis sa volée de fou?
Gregory: Non j’étais toujours interdit de stade. Mais maintenant je fais plus le con.
Anthony: Ah non et je lui ai dit, si tu veux continuer à me suivre faut te calmer! Surtout que maintenant les déplacements en Super League c’est cool! Quand t’es en Première Ligue à la limite tu te dis…
Gregory: Franchement ça me faisait ni chaud ni froid. Mais maintenant c’est autre chose. Mais pour en revenir à la question je me souviens très bien de ce but, je l’avais vu à la télé.
Il était voulu ce but?
Anthony: Oui c’était voulu. Bon j’ai eu de la chance, il en faut toujours un brin.
Vous débriefez les matchs ensemble?
Anthony: Oui de temps en temps. On va souvent manger ensemble après les matchs.
Gregory: Mais on parle pas trop du match. On parle plutôt de ce qui a pas été chez l’équipe adverse.
Anthony: Mais ils sont nuuuuls!
Gregory: On parle aussi de nos parcages à l’extérieur. Cette saison c’est magnifique.
Anthony: YB cette année j’ai rarement vu un parcage aussi plein que ça. Il y avait même des supporters dans les tribunes latérales.
Gregory: Il y a vraiment eu de grosses ambiances à l’extérieur cette saison.
Anthony: Ca ne m’a pas étonné. Même en Challenge League nos parcages étaient toujours quasi pleins.
La plus belle ambiance que tu as vécue sur un terrain, Anthony?
Le match contre Lausanne.
Celui du 10 mai à la Praille?
Oui, mais celui à Lausanne aussi c’était fou.
Oui à Lausanne, on se disait que c’est quand même dur d’être supporter du LS!
Gregory: Sous la neige, sans toit!
Anthony: Vraiment ce match à Lausanne, j’avais dit à l’équipe que même si on devait avoir un coup de mou, avec nos supporters on est chez nous. C’était incroyable. Le match à domicile contre YB était magnifique aussi. Après il y a les autres stades aussi, St-Gall c’était vraiment sympa d’aller y jouer. Et le match contre Bellinzone en 2011, j’étais au Stade.
Sinon comme beau souvenir il y a eu la finale de la Coupe avec Sion. La Coupe et Sion c’est quelque chose. Des malades. Tu as l’impression qu’ils ne vivent que pour ça. C’était à Bâle contre Neuch, on gagne 2-0. C’était une finale un peu plus facile que les autres. Les Neuchâtelois n’étaient d’ailleurs pas nombreux. Mais rentrer dans un stade plein déjà à l’échauffement, c’est toujours impressionnant. Et c’est rare.
Et toi Gregory, la plus belle ambiance vécue?
Gregory: Le 10 mai contre Lausanne. Et je remarque que plus les années passent, plus le bloc de supporters grandit. Il y a une meilleure ambiance. Même à la télé tu nous entends mieux.
Anthony: Et la Praille tu aimes ou tu aimes pas, mais quand ça chante ça résonne bien. Tu le sens quand tu es sur le terrain. En plus le stade devient vraiment beau là.
Anthony tu déclarais en 2010 rêver d’équipe de Suisse et de championnat étranger. Tu rêves de quoi, 10 ans plus tard?
Anthony: Pas grand chose. Déjà pour l’Equipe de Suisse, j’ai quand même 29 ans maintenant.
Et il y a de la concurrence à ton poste.
Anthony: Oui il y a Mbabu déjà! Derrière il y a Widmer, c’est pas si loin quand même. Michael Lang joue plus du tout, il est au Werder prêté de ‘Gladbach. Je suis pas si loin que ça! Mais je n’y pense pas.
Tu aurais eu envie de jouer où à l’étranger?
Gregory : Il a déjà joué à Sion!
Anthony: C’est vrai! Mais sinon j’aimais bien le championnat d’Espagne. Ca joue au foot. Mais je me suis jamais dit : il faut que j’aille jouer en Espagne.
Vous suivez des équipes étrangères?
Gregory: Moi depuis gamin je suis pour Milan. Encore maintenant. Mais c’est dur ces derniers temps. Toi Anthony c’était Paris.
Anthony: Oui. Un peu moins depuis que les qataris ont repris le club. C’est trop facile. A l’époque ils se battaient contre la relégation…
Gregory: Et depuis il y a eu le Plan Leproux aussi, ils avaient viré tous les ultras.
Anthony: A l’époque je regardais beaucoup plus le foot à la télé que maintenant. La Ligue des Champions et tout. Aujourd’hui je regarde plutôt la Premier League anglaise. Par contre le championnat d’Espagne je regarde pas du tout. Portugal zéro. Allemagne très très rarement. Je vais pas me dire ce soir je regarde Getafe-Saragosse!
Gregory: Et même quand il y le Clasico…
Anthony: Oui même le Clasico, je m’en fous. Je préfère un bon Wohlen-Wil un vendredi soir!
Gregory: Pareil. Je suis tous les matchs, même de Challenge League.
Quel est votre meilleur souvenir de supporter du Servette?
Gregory: 1999, le 2 juin. Je n’ai pas été à la Pontaise mais je me souviens très bien de toute ma journée. J’avais eu un match avec Carouge, c’était Papa l’entraineur.
Anthony: T’as dû jouer alors! Est-ce qu’on avait pas été à la fête aux Charmilles le soir?
Gregory: Non, on avait été quand ils avaient gagné la Coupe en 2001. On avait été à Bâle d’ailleurs.
Anthony: Oui, ça c’est peut-être le premier match dont je me souviens vraiment. Cette finale contre Yverdon.
Gregory: On était avec la Section Grenat. Tu te rappelles de Fournier qui avait traversé le pont du Mont-Blanc en tracteur pour fêter la victoire?
Anthony: Ca c’est un autre de mes rêves!
Anthony t’as fait le titre en Promotion League et le titre en Challenge League. Tu crois à un titre de champion Suisse?
Anthony: J’espère. Ca aussi, c’est un rêve! D’abord stabiliser le club deux, trois ans en Super League. Je pense que c’est le plus important. Pour le Canton, pour tout le monde, après toutes ces années de merde qu’on a vécues. On a les moyens financiers à Genève. Mais déjà là il nous manque pas grand chose. La preuve: on est quatrième, on vit bien et on ne se prend pas la tête. On a vraiment une équipe complète.
Gregory: Mais avec un N’Same devant on jouerait le titre.
Une dernière question. Le championnat va reprendre fin-juin. Objectif Europe?
Anthony: Clairement. Moi qui n’ai encore jamais vécu de Coupe d’Europe, j’aimerais le faire avec ce groupe. Même si on doit passer par des matchs qualificatifs. C’est une expérience à avoir dans une carrière. Même si je comprends que certains pensent que ça pourrait être risqué au niveau de la fatigue. Il faut l’effectif qui suive.
Et toi Gregory, la Coupe d’Europe?
Gregory: Forcément. L’Estonie c’est magnifique!
Anthony: Oui les déplacements en Europe manquent à tout le monde, dont la Section Grenat. Les gens ont envie de ça!