Interview Christopher Routis

Les grands groupes se créent autour d’hommes de caractère. De joueurs dont l’amour du club compense les objectifs personnels de certains autres. Christopher Routis fait clairement partie de cette catégorie. Entretien nostalgie, avec la voix souvent nouée d’émotion quand il s’agit de parler de « son Servette ». Son humilité, sa combativité et sa joie de vivre nous manqueront. Et seront difficilement remplaçables.

On va commencer en rétablissant une vérité. Transfermakt dit que tu es né à Genève, Wikipedia dit lui Libourne.

C’est vrai? Alors Genève ça ne me dérange pas du tout! Par contre je suis bien né à Libourne

Parle-nous un peu de ton enfance. Comment était le jeune Chris Routis?

Je viens d’une famille qui avait très peu d’argent. Mon Papa est boucher. Ma Maman a fait plusieurs boulots. On est du Sud-Ouest donc depuis tout petit je suis quelqu’un qui aime bien manger. Et qui a la joie de vivre. Puis le foot bien sur. J’ai baigné dedans. Mon papa a été joueur et ensuite entraineur.

J’ai commencé à 4 ans, dans un petit club à côté de Libourne, Ambarès. Tout près de la où mon père travaillait. Mais je n’avais pas l’âge de jouer parce qu’en France tu ne peux commencer le foot qu’à six ans. Du coup je jouais avec une fausse licence. Et à quatre ans j’étais déjà assez grand alors ça passait. Après je suis allé dans un deuxième club, l’Elan Fronsadais.

Et je suis arrivé à Libourne Saint-Seurin à 6 ans, j’y ai fait toutes mes classes jusqu’à mes 18 ans. Il n’y avait pas mieux en matière de formation à l’époque dans la région, à l’exception de Bordeaux. Toutes les catégories de jeunes jouaient au plus haut niveau. La première équipe n’avait pratiquement que des joueurs formés au club et était montée en Ligue 2. C’était un bon club familial. Vraiment top.

Tu avais d’autres rêves que le football à cet âge-là?

Non. Je ne voulais faire que ça. Ma Maman m’a aussi aidé. Elle m’a donné beaucoup de passe-droits. C’est-à-dire que je pouvais ne pas aller en cours si j’étais fatigué et que j’avais match. Le foot passait presque avant le reste. Après je rattrapais toujours et j’avais la chance d’avoir de la facilité à l’école. Donc je n’avais pas besoin non plus de bosser comme un dingue. Tout ce que je voulais c’était avoir mon petit 12 de moyenne pour être tranquille.

Je suis parti dans la branche professionnelle juste après le Collège, le Cycle pour vous. Bac Pro Commerce. Mon père me disait toujours que je ne bougerai pas de la maison avant d’avoir un diplôme. Et je l’ai eu.

Comment s’est passé ton passage de Libourne à Servette?

J’étais en moins de 18 ans nationaux à Libourne. On était dans une poule où il n’y avait que deux équipes qui n’étaient pas de Ligue 1. Nantes, Bordeaux, Toulouse, Guingamp. Des gros clubs. On avait une équipe vraiment incroyable et on finit champions d’automne.

De l’autre côté l’équipe première était entrain de descendre de Ligue 2 en National. Comme notre maintien à nous était assuré, ils ont decidé de passer certains jeunes en CFA. Ca nous a permis d’engranger des minutes contres des adultes, à 17 ans. On a fait 6 mois comme ça. Malheureusement le club a fait faillite au moment où certains joueurs, dont moi, allaient se voir proposer un contrat pro pour évoluer en National.

Là, par le biais d’un ami proche qui était entraineur en moins de 18 ans nationaux, on apprend qu’il y a une journée de détection à Genève. On a pris la route et c’est comme ça que je suis arrivé ici. Et Monsieur Niederhauser a décidé de me garder dès le premier match.

Et du coup tu intègres les moins de 21 servettiens. Comment est-ce que ça se passait pour toi à l’époque?

J’ai été hébergé chez cet ami proche dont je te parlais, qui est de la région. J’avais signé une convention avec le club, je touchais 200 francs par mois. Autant dire rien du tout. L’Académie n’avait rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui, c’était pas le même budget.

Mes parents m’ont beaucoup aidé mais je ne voulais pas qu’ils en fassent trop. J’avais dit à mon père que si le club ne me proposait pas un contrat au bout de six mois, je rentrerai pour travailler. Parce que je ne voulais pas dépendre d’eux trop longtemps. Et j’ai signé mon premier contrat en octobre.

Pratiquement dès ton arrivée finalement.

Oui. L’équipe première était en Challenge League et avait mal démarré la saison. Monsieur Niederhauser avait été limogé et remplacé par Monsieur Alves. De mon côté je faisais un gros début de saison avec les M21. J’étais vraiment déterminé comme jamais. On s’entrainait comme des fous et ça a payé.

Monsieur Alves est venu me voir jouer en M21 dès sa première semaine à la tête de l’équipe première. Il voulait raffraîchir un peu l’équipe et c’est quelqu’un qui aimait lancer des jeunes. Il vient me voir à trois matchs, et j’avais joué ces 3 matchs là en attaque. Je mets trois buts au premier match. On rejoue trois jours plus tard en Coupe, je remets un triplé. Du coup il va voir Sébastien Fournier après le match et lui dit qu’il me veut en équipe première. On rejoue encore trois jours plus tard, une semaine anglaise. Deux passes décisives et un but.

Là Monsieur Alves retourne voir Fournier. Il lui dit « Le petit là, il me le faut demain à l’entrainement ». Et c’est là que Fournier lui apprend que je suis défenseur central. Alves n’y croyait pas! On s’est ensuite parlé, je lui ai dit que c’est là où je me sentais bien et il l’a aussi tout de suite vu à l’entrainement.

J’imagine que tu avais une relation spéciale avec lui.

Il avait une facilité incroyable à parler avec ses joueurs. A transmettre de la confiance. Je joue mon premier match avec la première contre Yverdon. Il me sort à la mi-temps parce que j’avais pris un jaune. Et il me dit « Ecoute, tu vas jouer le prochain match, contre Bâle. C’est pour ça que je te sors, je veux pas que tu prennes un rouge. »

Et contre Bâle il me dit de ne pas m’inquiéter. Que je suis trois fois plus fort que Shaqiri et Frei. Il avait vraiment une capacité à mettre les gens en confiance. C’était exceptionnel. On avait un peu une relation père-fils.

Tu auras donc vécu la faillite à Libourne ainsi que certaines heures sombres de l’Histoire du Servette.

Oui. Si jamais certains se demandent si je suis ici pour l’argent ou quoi que ce soit, j’ai connu des moments où j’ai pas été payé pendant 3 mois. Il y a eu plein de choses ici, j’ai un peu tout connu.

J’ai deux clubs dans ma vie: Libourne, mon club formateur. Et Servette. Pour moi c’est chez moi. Et de vivre ces moments avec ces deux clubs a été compliqué. Mais on apprend aussi beaucoup, ça permet de relativiser pour la suite de sa carrière.

Tu nous as ensuite quitté en 2014 pour la League One (3è division) anglaise et Bradford City.

J’étais en fin de contrat et ça c’était un peu mal passé. Je n’aime pas tirer sur les gens donc je ne citerai pas de noms. Mais il y avait quelques personne à l’époque au club qui nous avaient fusillé la saison. Et je le dis tout le temps: Servette c’est chez moi. Donc je n’aimais pas ça.

On avait mal démarré la saison 2013-2014, comme souvent en Challenge League. On revient comme des fous à Noël, à 4 ou 5 points de la tête alors qu’on a eu jusqu’à 15 points de retard. Je me blesse juste avant la trêve hivernale et du coup je ne pars pas faire le camp d’entrainement avec l’équipe. Et c’est là qu’on m’annonce que certains cadres seraient écartés. Anthony Sauthier en avait d’ailleurs également fait les frais.

Les gens nous connaissent Anthony et moi, on est pas des fouteurs de merde. Certaines personnes nous accusaient d’être contre les jeunes. De ne pas vouloir les aider. Il faut demander ce qu’il en était à des gars comme Miguel Rodrigues.

*Nous avons contacté Miguel Rodrigues, qui nous a confirmé avoir eu des excellents rapports avec Sauthier et Routis et qui les apprécie beaucoup.*

Du coup j’ai décidé de partir. Je me voyais bien en Angleterre, même dans les divisons inférieures. Je voulais aussi découvrir une autre culture et apprendre à parler anglais. C’était vraiment une expérience exceptionnelle. J’ai vécu des moments que je souhaite à tout le monde.

Par exemple?

Notre match de FA Cup qu’on gagne à Stamford Bridge contre Chelsea. Et en Angleterre c’est pas comme en France où les équipes font tourner pour la Coupe. Le stade était plein, Chelsea avait son équipe type. 6000 fans de Bradford qui se déplacent, c’était quelque chose d’exceptionnel. On perd 2-0, on met le 2-1 juste avant la mi-temps. Et on renverse tout en fin de match pour gagner 4-2. On avait fait un super parcours en Coupe. On a ensuite éliminé Sunderland puis finalement été sortis par Reading. En championnat on finit 7è, donc juste pas qualifiés pour les play-offs.

Je me suis super bien adapté et j’ai rencontré des gens exceptionnels. Et l’Angleterre c’est vraiment une autre vision du foot. On se retrouvait après les matchs entre joueurs pour boire une bière. Des mercredis après-midi avec toute l’équipe au bar du coin. C’est même parfois le coach qui insistait pour qu’on y aille. C’est comme ça aussi que tu arrives à des grosses cohésions d’équipe.

Et le niveau du championnat en lui-même?

Je trouve que les ligues inférieures anglaises sont assez sous-côtées. Tu vois régulièrement des trucs dans les zappings… Mais ce dont les gens ne se rendent pas compte c’est qu’ici en Suisse on joue quoi, maximum 40 matchs dans une saison. Dis-toi que ma première saison là-bas, on va loin dans les trois Coupes et rien que le championnat c’est 46 matchs. Le joueur qui avait joué le plus de notre équipe, un arrière central, avait raté seulement un ou deux matchs de la saison. Il en a joué 73, si je dis pas de bêtises!

Je me rappelle une fois on joue 4 matchs en 12 jours. On est arrivé à l’échauffement au quatrième match il y a des joueurs qui avaient des crampes! C’est pour ça que maintenant ça ne me change pas trop de jouer deux fois par semaine.

Après au niveau de la passion c’est quelque chose aussi. La deuxième année on avait 18’500 abonnés. Il y avait donc entre 18’500 et 25’000 personnes à chaque match. C’est un monde différent. Les gens te reconnaissent partout, te demandent des photos. Tu dois arriver tôt au stade les jours de match sinon il y a déjà 500 personnes qui attendent les joueurs. Et t’es en troisième division.

Tu as ensuite connu la Première Division écossaise, à Ross County.

Et c’était vraiment le top. Une toute petite ville où tout le monde se connaît. Tu sors dans les rues, les gens te saluent. T’es tout de suite médiatisé parce qu’il n y a personne. Il suffit de sortir dans un restaurant ou dans un bar pour que toute la ville soit au courant.

J’ai eu la chance de signer l’année où les Rangers revenaient en première division. Et jouer des matchs à Celtic Park aussi, c’est le truc le plus monstrueux que j’ai fait. Même si je préfère le stade des Rangers (Ibrox), qui est vieillot, à l’anglaise avec ses quatre tribunes.

J’ai joué aussi les deux années lors du Red Poppy Day (Jour qui marque l’armistice de la guerre de 14-18, le 11 novembre). Dont une année contre les Rangers, à Ibrox. On rentre sur le terrain, tous alignés, on attend. Je comprends pas trop ce qu’il se passe. Et là on entend un hélicoptère arriver, on voit un gars descendre d’une corde avec le ballon du match dans les mains. L’explosion dans le stade quand il est arrivé… Une ambiance incroyable.

Mais c’est vrai que le Celtic c’est plus impressionnant. Déjà la grandeur du stade. C’est monstrueux. Tu sens que tu arrives dans un stade d’une grosse, grosse équipe.

Et tu as donc rencontré Schalk a Ross County. Vous vous êtes tout de suite bien entendus?

Oui assez rapidement. Lui aussi aime faire un peu le con dans les vestiaires. C’est quelqu’un qui bosse beaucoup. Qui arrive dans les premiers à l’entrainement et qui reste longtemps après pour continuer à travailler. Je vivais à l’hôtel au début, ma famille n’était pas là. Mais lui était toujours là pour moi. Il m’a vraiment super bien accueilli.

Il faisait aussi partie des joueurs dont j’arrivais à comprendre l’anglais facilement. Ils ont vraiment un accent terrible en Ecosse! Et du coup on a matché super vite. On a fait quelques soirées ensemble, ça a aidé. Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu’il a fait pour moi là-bas.

C’est un peu pour moi mais surtout pour le Servette que je l’ai ramené ici. Je connaissais ses qualités. Quand le club l’a vu jouer, ils l’ont pris tout de suite.

De ton côté tu étais en fin de contrat en Ecosse, et tu as fait le choix de revenir au club, en Challenge League.

On avait été relégués en deuxième division avec Ross County. Je faisais partie des rares joueurs que le club voulait garder pour l’aider à remonter. J’avais envie de rester. C’est un club familial que j’ai beaucoup aimé. Avec un président vraiment top. Je leur avais fait la promesse de rester, sauf en cas d’appel de mon Servette.

J’étais déjà un peu en discussions avec Pizzinat et je savais que le club était intéressé. Mais vraiment je ne voulais pas partir à la base. Pour ne pas laisser l’image du gars qui quitte le club en étant relégué. Ce n’était pas simple au début, puis ensuite quand je suis revenu ici j’étais le plus heureux des hommes.

Et il y a eu cette magnifique saison 2018-2019, qui n’avait pourtant pas commencé de la meilleure des manières.

Mais je n’ai jamais douté, parce qu’on avait un super groupe. Plus fort que celui qui était monté contre Bellinzone. J’avais dit aux gars qu’il fallait absolument qu’on garde la bonne ambiance qu’il y avait entre nous. Que ça paierait tôt ou tard. Il fallait juste garder la confiance et ne pas écouter ce que les gens se disaient à droite à gauche. Au final on a fini loin devant.

Laquelle des deux promotions a été la plus forte émotionnellement, entre Bellinzone et Lausanne?

Pour moi Bellinzone c’est incomparable. Il y avait une tension monstre, mais on savait qu’on allait le faire. J’étais aussi plus jeune. On perd l’aller 1 à 0 et malgré ça on sentait que les tessinois avaient peur. Ils savaient qu’on allait leur mettre des buts chez nous. Et qu’on était meilleurs.

Par contre l’année passée j’ai vraiment eu peur qu’on n’arrive pas à le faire contre Lausanne. Ca n’aurait pas été la même fête si on n’avait pas gagné ce match. Et pour la petite anecdote, je l’avais dit aux dirigeants et à tout le monde dans le vestiaire en novembre: on sera champions contre Lausanne à la maison.

Et la suite à présent? On a vu que tu n’avais resigné que jusqu’à la fin de la saison…

Pour le moment je suis là. Et à 100%. Mais on m’a effectivement dit qu’on ne me prolongerait pas au-delà de ça.

Tu m’avais dit en off que tu rêvais de quitter le club avec une qualification en Coupe d’Europe.

Oui. Et en comparaison avec notre dernière qualification en 2012, le club est beaucoup plus structuré. Il ne faudra pas qu’il y ait trop de départs ou beaucoup de blessés. On voit bien là que jouer tous les trois jours c’est usant. Pour le coach aussi, qui ne peut pas toujours faire ce qu’il veut. Il doit parfois bricoler.

Mais je pense que tout le monde bosse bien au club et que si on y arrive ça se passera bien. De mon point de vue personnel il faut vraiment aller chercher l’Europe. Il ne faut pas attendre dix ans.

Comme je l’avais dit dans mon billet d’humeur suite au départ de Park, on sent vraiment que tu as cet amour du Servette. Comment l’expliques-tu?

Servette m’a fait démarrer. A partir de là c’est fini. Il peut se passer n’importe quoi, on peut me cracher dessus au club demain matin, je ne dirai jamais rien de mal sur Servette. Jamais de ma vie. J’aime ce club parce qu’il m’a tout donné. Moi je n’ai rien fait. Il y a des gens qui ont fait mille fois plus que moi.

Mais tu auras marqué tes passages ici, ramené deux fois le club en Super League. C’est loin d’être négligeable et ça ne sera jamais oublié. Si tu ne devais garder qu’un seul souvenir sous le maillot grenat, ça serait lequel?

Bellinzone. C’est vraiment particulier. Sinon je dirai en terme de fierté le but à Sion quand on va leur en mettre 4 en 2011. J’ai 19 ans, je venais déjà de marquer contre Thoune. On va à Tourbillon et on les tape. On a aussi senti combien c’était important pour les supporters. Et puis bien sur de donner le titre contre de Challenge League contre Lausanne dans un stade plein. C’était merveilleux.

On te reverra un peu au stade la saison prochaine?

Bien sur. Tout le temps. Et en Tribune Nord, si on me laisse le mégaphone!

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