Interview Geule Blansh

Dans le rap comme au foot, les plus grands talents ne donnent pas forcément les plus grandes carrières. Comme disait un célèbre philosophe contemporain parisien : le rap c’est un moyen pas une fin ni un sprint mais une course de fond, et Geule Blansh est toujours là, plus de quinze ans après ses débuts. Il est même plus présent que jamais depuis près d’un mois et la sortie de son titre/hymne au Servette, Couleur Grenat. Rencontre avec un surdoué du micro et servettien depuis les Charmilles.

Pourrais-tu commencer par te présenter, pour ceux qui ne te connaitraient pas encore?

Yann aka Geule Blansh. 29 ans, deux enfants. Je suis né et ai toujours vécu à G’nève. Je fais du son depuis que j’ai 13 ans, autant dire depuis un bon petit moment. J’ai fait pas mal de scènes en Suisse et j’ai trois projets à mon actif et un en préparation.

Pourquoi cette orthographe de ton nom de scène, Geule Blansh?

Parce que j’étais nul à chier en orthographe quand j’ai commencé le rap et je pensais que gueule s’écrivait comme ça! Par contre le sh à la fin de Blansh c’est fait exprès. Je trouvais ça stylé.

Et au-delà de l’orthographe, d’où vient ce nom?

J’ai grandi à Troinex et on partait pas souvent en vacances quand j’étais petit. Un jour à la rentrée, un pote est venu me voir pour comparer son bronzage au mien. Il venait de rentrer de vacances. De mon côté j’étais resté à la maison et n’étais pas trop sorti de l’été. Il s’était un peu foutu de moi en me disant que j’avais la gueule blanche. J’ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête. Plus tard lorsque j’ai commencé à rapper je me faisais appeler Gueule d’Ange avant d’apprendre qu’il y avait déjà un gars à la Jonction qui avait ce nom. Du coup c’est vite revenu sur le Geule Blansh.

Comment est-ce que tu es rentré dans le rap?

Petit j’étais skateur et j’écoutais beaucoup de rock, quand mes parents et surtout mon frère consommaient beaucoup de rap français. Puis j’ai vu le film « Ecrire pour exister » dans lequel une prof donne des cahiers à ses élèves pour que chacun raconte son histoire. Ça tourne autour de ça et c’est un film qui m’a beaucoup marqué. Ça m’a d’abord donné envie de commencer à écrire sur moi, puis j’ai commencé à faire des rimes.

À l’époque il y avait les CD single que tu pouvais acheter pour cinq francs chez City Disc, sur lesquels se trouvaient le morceau et souvent la prod. Du coup je mettais mon vieux portable sur magnétophone, à côté de l’enceinte et je m’enregistrais à essayer de rapper dessus.

Tu as assez rapidement fait parler de toi dans le microcosme suisse-romand. Tu étais l’un des jeunes à suivre. Qu’est-ce qui a fait que tu n’as au final pas plus percé que ça?

Le problème c’est que je ne croyais pas assez en moi. Quand j’avais balancé le morceau « J’raconte » à l’époque, je n’avais aucune idée que ça allait prendre autant. Les choses se passaient beaucoup plus sur Facebook à cette période et il y avait vraiment cette notion de partage, de donner de la force. Tout le monde a commencé à le partager, des Deen Burbigo, Nekfeu, Alpha Wann qui donnaient de retours. Je n’étais pas du tout prêt à ça. Je n’avais rien préparé derrière et je n’ai pas pu surfer là-dessus.

Ça aurait pu être différent si j’avais plus cru en moi, surtout qu’il y avait derrière des gens qui étaient chauds. Mais je n’arrivais pas à me rendre compte de toute l’ampleur que ça prenait. Après je n’ai aucun regrets. J’ai fait ma vie, mes expériences. Par contre c’est clair que si je devais revenir en arrière, avec la force que j’ai reçue de partout, j’aurais dû faire autre chose.

Pour venir sur le Servette, comment est-ce que le virus t’a pris?

C’est venu de mon père, qui nous emmenait aux matchs mon frère et moi. Je ne peux pas me rappeler de mon premier match parce que ça remonte à trop loin. Mais mon premier vrai souvenir c’était un match amical Servette-Barcelone (Juillet 2002, match d’adieu d’Eric Pédat). Et le dernier match des Charmilles avec l’écharpe offerte à l’entrée.

Tu as toujours été assidu depuis lors?

Non, on est ensuite venu avec moins de régularité après le déménagement à la Praille. Je n’y allais plus trop, mais je suivais toujours l’actualité et ce qu’il se passait autour du club. Ce qui m’a vraiment débloqué ce n’est pas le fait que Servette remonte, mais la première fois où j’ai emmené ma fille au Stade. Quand j’ai vu les étoiles dans ses yeux et à quel point elle kiffait, ça a tout relancé. Toutes les émotions de quand j’étais petit, ça m’a vraiment fait quelque chose. Et depuis je suis de nouveau à fond dedans. Le club aurait pu être en dernière ligue ça aurait été pareil.

Comment vis-tu les matchs en tribune?

Ça dépend si je vais avec ma fille ou pas. Quand je l’emmène en général on se place tout en haut de la tribune, à la dernière rangée. Déjà parce que je la porte souvent sur mes épaules donc ça ne dérange personne derrière. Et aussi parce qu’il y a l’ambiance de la tribune mais pas la fumée et tout. C’est mieux pour elle.

Sinon quand je ne la prends pas avec moi je vais un peu partout dans la tribune. Mais que ce soit avec ou sans elle je me casse la voix et c’est toujours un peu difficile de la récupérer le lendemain. Après j’ai aussi une voix un peu fragile. Même en concert elle part souvent en vrille après deux ou trois chansons.

Tu es artiste depuis plus de quinze ans et supporter depuis bien plus. Pourquoi avoir sorti Couleur Grenat, ton premier morceau consacré au club, maintenant?

C’est né d’un délire. On entend toujours des sons de gars de Genève durant l’avant-match et à la base j’ai essayé de contacter deux-trois personnes pour que j’aie aussi un de mes sons au stade. Je voulais le faire pour ma fille, pour la rendre fière. À côté de ça je suis quelqu’un qui n’écrit pas ses textes sur papier ou téléphone. J’ai tout en tête. Et durant chaque match j’avais souvent une petite phrase qui me venait, jusqu’à avoir un huit ou douze mesures. Puis un jour j’ai reçu cette prod de Bakstothegroove qui m’a donné envie de me lancer et de compléter mon ébauche de texte.

J’ai fini de gratter en une journée. C’est une période où je n’allais plus trop en studio, du coup je me suis dépêché de l’enregistrer pour ne pas trop attendre et laisser tomber. Bakstothegroove a ensuite fini de le mixer trois jours plus tard. Je l’ai immédiatement fait écouter à quelques potes supporters du club, qui m’ont ensuite demandé de pouvoir le faire tourner. Et comme avec « J’raconte » ça a pris une grosse ampleur très rapidement. En une journée j’avais déjà reçu énormément de retours, le son tournait partout. On ne comptait pas faire de clip à la base, mais dans la folie du truc autant aller jusqu’au bout.

Vous avez réalisé ce clip avec des images prises durant le dernier Servette FC – FC Sion (victoire 5-0, toujours agréable de le rappeler). Comment avez-vous obtenu l’autorisation de prendre ces images de la Tribune Nord et de la Section Grenat?

On a bien évidemment fait une demande à la Section Grenat, qui a dû être votée. Il faut dire aussi que les deux réalisateurs du clip, Chispa et Formel, sont également supporters du club. L’approche et les contacts ont donc été facilités. Je ne sais pas si ça aurait pu être possible avec des réalisateurs qui ne connaissent pas un peu notre tribune.

Toutes les étoiles étaient alignées pour ce clip, entre le 3-0 après 9 minutes de jeu et les autorisations. Et le fait que le morceau plaise à tout le monde aussi. Personne n’aurait eu envie d’être associé à ce clip si le son était mauvais.

Environ un mois après la sortie de Couleur Grenat, est-ce que l’ont peut dire que c’est ton plus gros succès?

Ouais je pense. Après il y a des sons qui avaient bien marchés à l’époque comme « Marche arrière« , qui avait aussi fait du bruit en France. Mais par rapport au stade où j’en suis aujourd’hui dans ma carrière, oui c’est clairement mon plus gros succès.

Tu as eu des retours du club?

Oui, le club nous a donné l’autorisation de filmer un entrainement pour avoir des images pour le clip avec ma fille. Des joueurs m’ont écrit, je sais qu’ils ont kiffé. Ce n’est que du bonheur. Et ma fille est trop fière. Ses copains lui parlent du clip à l’école, ils passent le son au parascolaire. C’est top. Mon père aussi, des gens lui même ont demandé des photos parce qu’ils l’ont reconnu dans la vidéo.

Quels sont tes projets pour le futur?

Continuer à sortir des sons. Alors pas forcément sur le Servette parce que je pense qu’il ne faut pas trop en faire. Mais c’est clair que c’est le morceau que j’aurai le plus de plaisir à faire sur scène. Tout ça m’a donné aussi une grosse envie d’écrire et d’enregistrer. Je dois avoir une bonne quinzaine de sons de côté, je pense sortir un projet prochainement, peut-être un cinq titres.

Qu’attends-tu de cette nouvelle saison qui commence dans un mois (à GC le 22.07)?

Déjà qu’on arrive dans des phases de groupes d’une compétition européenne. Si ça ne se fait pas tant pis, mais j’aimerais qu’ils nous fassent rêver. Et puis évidemment qu’on fasse une bonne saison, mais mon plus grand souhait serait que les gens viennent en nombre à tous les matchs. Pas uniquement pour les grosses affiches. Qu’on arrive à passer les 10’000 à chaque matchs et que ce soit la fête tout le temps.

Tu verrais quel footballeur en featuring sur un de tes sons?

Je pense Crivelli. C’est un peu le gars dans l’ombre qui rentre dans les dernières minutes et est toujours efficace. Si tu compares à la musique c’est un gars qui est un peu en retrait comme moi. Par contre il est chaud patate! Il a toujours le sourire et donne tout pour l’équipe.

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