Interview Grejohn Kyei

Un mois après son départ du club pour rejoindre Clermont en Ligue 1, rencontre avec un Grejohn Kyei épanoui et ambitieux. Entre rêves de Coupe du Monde et besoin de prouver avec sa nouvelle équipe, notre ancien numéro 25, aussi posé et discret hors des terrains qu’il était imposant sur ceux-ci, revient sur son parcours en Grenat et ses rêves pour la suite de sa carrière.

Tu viens de Villiers-le-Bel, dans le 95. Quels étaient tes modèles lorsque tu étais jeune?

À part Ärsenik (groupe de rap composé de deux frères, Lino et Calbo) on n’a pas vraiment eu d’autres exemples de réussite à Villiers-le-Bel. Et Ärsenik c’était la génération avant la mienne. Ma génération n’a pas vraiment eu de modèles, de gars qui ont réussi à sortir de la ville. Au final on l’a fait nous-même.

“À quel moment as-tu compris que tu pourrais réussir dans le foot?

Vers 11-12 ans. Je n’avais que le foot en tête, devenir professionnel. Je ne pourrais pas dire ce qu’il se serait passé si ça n’avait pas marché pour moi. Rien d’autre ne m’intéressait.

Tu es parti au centre de formation de Reims après avoir fait toutes tes classes à Villiers-le-Bel. Comment les as-tu rejoint et quels souvenirs gardes-tu de cette première expérience de vie loin du cocon familial?

J’avais 15 ans et avais déjà fait des essais dans différents clubs, mais aucun n’avait abouti sur quoi que ce soit. Un jour, une connaissance qui me voyait souvent jouer sur le city du quartier avec mon père m’appelle pour me dire que Reims organisait des détections à Meaux (77) et me demande si je suis intéressé. Je ne connaissais rien de Reims, je n’aurai même pas pu te dire où la ville se situait. Mais je voulais sortir de Villiers-le-Bel et je vais donc à cette détection.

J’avais toujours joué milieu de terrain avant cette journée. Arrivé sur place on me donne un formulaire à remplir sur lequel je devais indiquer mon poste. Je mets attaquant et j’y vais comme ça, au feeling. Les entraineurs des U17 et U19 de Reims étaient là, tout se passe super bien. Ils me prennent directement à part et me demandent si je serai intéressé à venir en stage. Evidemment que je l’étais, mais je leur explique que personne n’a de voiture dans ma famille et que ça pourrait être compliqué pour moi de venir. Ils acceptent de prendre en charge mon voyage et me signent en U17 Nationaux dès la fin de mon stage, alors que j’allais sur mes 16 ans.

Tu auras joué 5 saisons en France, 4 à Reims entre Ligue 1 et Ligue 2 et une en prêt à Lens en Ligue 2 avant de nous rejoindre. Que te manquait-il à l’époque pour réellement t’imposer en France?

De la maturité. J’étais jeune, un peu insouciant et j’ai peut-être manqué de guide, de repère. Personne dans ma famille ne connaissait ce milieu. J’ai aussi très vite été catalogué comme un jeune espoir et je n’ai pas toujours réussi à assumer ce rôle et cette pression.

Tes deux parents sont originaires du Ghana. Est-ce que la sélection ghanéenne est un objectif?

Oui bien sûr. J’ai fréquenté l’équipe de France espoirs, avec qui j’ai eu une sélection (1 but, lors d’une défaite contre l’Islande 3-2). N’importe quel joueur rêve de porter le maillot de sa nation. Mais depuis que je suis en âge d’être appelé en A je n’ai jamais été contacté par la sélection Ghanéenne. Faire la Coupe du Monde au Qatar est un objectif, mais je ne me focalise pas dessus. Il me faut d’abord performer en club pour avoir l’opportunité d’être approché.

Tu rejoindras le Servette à la toute fin du mercato de l’été 2019. Que connaissais-tu du club au moment de signer ton contrat et pourquoi nous rejoindre?

J’avais dans un premier temps rencontré Gérard Bonneau, qui m’a parlé du club et expliqué le projet. Dès le premier contact j’ai également fait des recherches de mon côté. J’ai appris que Servette était un club historique, j’ai vu le nombre de grands joueurs qui sont passés sous ce maillot et ça m’a vite convaincu.

Je voulais aussi quitter la France, justement pour enlever cette étiquette d’espoir et j’ai toujours beaucoup suivi le football allemand. Je me suis dit que le championnat de Suisse pourrait être une bonne porte d’entrée.Je connaissais également quelques équipes pour avoir suivi les épopées européennes de Bâle ou YB.

Tu auras connu une première saison en grenat compliquée, avant de devenir l’un des piliers de l’équipe.

Je savais que la première saison serait difficile. Je suis arrivé blessé, sans préparation et hors de forme. Il fallait aussi que je m’adapte à un nouveau pays et à un type de jeu différent. Ça a pris du temps et j’aurais évidemment préféré que ça aille plus vite. Et la saison suivante, en ayant fait toute la préparation avec l’équipe j’ai pu attaquer le championnat en pleine forme et affûté.

Quelles différences y a-t-il entre le Grejohn qui nous a rejoint à l’été 2019 et celui qui nous a quitté en janvier?

Premièrement au niveau de ma forme physique. Je suis arrivé un peu empâté et lourd, en manque de rythme. Et là je suis parti affûté et avec plus d’expérience. Je ne pourrais pas te dire si mon style de jeu a évolué, mais j’ai appris plusieurs choses. Le football suisse est beaucoup plus porté sur le jeu offensif, contrairement à la France où il y a beaucoup plus de tactique, de mise en place. On y attend plus l’erreur de l’adversaire. Alors qu’en Suisse on va chercher cette erreur.

Que retiendras-tu de ces deux saisons et demie ici?

Déjà toutes les belles rencontres que j’ai faites. Je me suis évidemment mieux entendu avec certains que d’autres, mais j’ai côtoyé des supers gars. Schalk par exemple. On ne parlait pas la même langue au départ, mais on a tout de suite eu une connexion, un feeling. Je regrette qu’on ait pas pu jouer plus ensemble. Je m’entendais bien avec tout le monde, c’est un groupe dans lequel il n’y pas de clans. Français, Suisses, on rigolait tous ensemble. C’était vraiment un groupe formidable, que je n’oublierai jamais. Je retiendrai aussi que le Servette m’a permis de retrouver la confiance et du temps de jeu.

D’où était venue l’idée de ta célébration de but à Lausanne, le dernier marqué sous nos couleurs?

(Il rit) Je savais par Sauthier et Rouiller que nos supporters chambrent Lausanne sur son passé de village de pêcheurs. Mon idée de base était de reprendre une célébration que j’avais vue d’un club islandais où un joueur fait semblant de pêcher un de ses coéquipiers qui fait le poisson. Mais ils n’étaient pas trop chauds, d’autant plus en hiver avec la neige. Du coup j’ai juste gardé le mouvement de canne à pêche. Les supporters avaient en plus fait une banderole au début du match reprenant Astérix et Obélix « Il est pas frais ton poisson » qui m’avait bien sourire. C’était parfait.

Quels sont les joueurs qui t’ont le plus marqué en Suisse?

Au club je dirais Schalk, Imeri, Cespedes et bien sûr Stevanovic. Il a son style, il court énormément et il préfère passer le ballon à l’attaquant même si il se retrouve seul face au but. Les joueurs comme lui sont rares. Et au-delà du joueur, c’est un mec en or. Discret, généreux et ça ne paraît pas comme ça mais il est très joyeux et souriant.

Après dans le championnat je dirais Marchesano à Zurich, mon ami Siebatcheu à YB et Mambimbi, même si il joue moins. Et puis à Bâle je pense à Kasami, Stocker, Cabral et Zhegrova, que je retrouverai bientôt lorsqu’on affrontera Lille.

Tu es maintenant de retour en Ligue 1, en prêt pour six mois à Clermont et seras libre de tout contrat en juillet. Comment imagines-tu la suite?

Pour le moment je pense uniquement à faire mes preuves ici et à accumuler du temps de jeu. Après, je ne sais pas où cela va m’emmener. Pour le moment je suis dans le groupe, je joue un peu. Je ne me pose pas trop de questions pour la suite. On verra où j’en serai à la fin de la saison, mais l’objectif est de rester dans un championnat d’un niveau supérieur à la Suisse pour continuer à grandir et à progresser.

Quelles sont les grandes différences entre un club comme Clermont et le Servette, qu’on pourrait imaginer d’un niveau pas très éloigné sportivement parlant?

Déjà, comme j’en parlais avant, ce sont deux styles de jeu différent. En France on est beaucoup plus sur l’intensité et le physique. Et au niveau des clubs en eux-mêmes la grosse différence se situe au niveau des infrastructures. C’est vraiment ce qu’il manque à Servette pour attirer des joueur qui puissent permettre au club de gagner le championnat. La ville est magnifique, il y a un super stade, des supporters. Il ne manque selon moi que les infrastructures pour pouvoir rivaliser avec Young Boys et Bâle et redevenir le club qu’il était à l’époque.

Quel club te ferait rêver, aujourd’hui?

Je ne sais pas vraiment. Plus jeune je t’aurais dit Manchester United. C’est un club qu’on aimait beaucoup dans la famille, mes parents ont d’ailleurs appelé mon petit frère Beckham. Mais je n’ai plus aujourd’hui un club particulier qui me fait rêver.

Un dernier message aux supporters du club?

Je voudrais les remercier pour tous leurs encouragements ainsi que toutes les critiques, positives comme négatives. Ça m’a permis de m’améliorer et ça m’a rendu plus fort. Je serai toujours un Grenat!

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