Interview Jérémy Frick

Il fait partie des derniers rescapés de la montée en Super League. Jeune papa d’une petite fille et nouvel héritier du brassard grenat, Jérémy Frick porte aujourd’hui la ville autour du biceps gauche. Le roi est mort, vive le roi!

Comment te présenterais-tu à quelqu’un sans mentionner le football?

Rigolo, généreux. Je prends souvent plus soin des autres que de moi-même. Ça me vaut parfois de reproches parce que j’essaie toujours de contenter le plus de gens possible.

Tu allais régulièrement aux Charmilles étant enfant. Que représentait le club pour toi à cette époque?

Ça représentait surtout pour moi le déplacement en ville. J’ai grandi à Bellevue qui n’est pas la grosse campagne, mais ce n’est pas la ville non plus. Voir autant de monde dans un même endroit m’impressionnait. Les souvenirs de Genève que j’avais à cette époque c’était la gare de Cornavin et les Charmilles. J’avais une énorme pression quand j’y allais. Puis j’ai toujours continué à aller aux matchs, jusqu’à mon départ pour Lyon.

Les gardiens de but ont souvent évolué à d’autres postes avant de se fixer dans les cages. Est-ce aussi ton cas?

Non, à mon plus grand malheur. Je pense que ça apporte quelque chose de jouer à un autre poste, de voir le jeu différemment. Comprendre ce que peut ressentir un attaquant face à un gardien ne peut que te rendre meilleur. Mais voilà j’ai toujours été grand et très courageux et comme il fallait bien quelqu’un aux goals, ça a été moi dès le départ.

J’étais très tête brûlée quand j’étais jeune, je le suis d’ailleurs encore, même si je me suis calmé depuis que je suis papa. Lors de nos vacances à Zermatt, on jouait souvent à sauter depuis des rochers dans la poudreuse. On montait un peu plus haut à chaque saut et il fallait éviter deux gros rochers pour bien arriver dans la neige. Et puis un jour, alors que je devais avoir 8 ans, ça n’a pas manqué. Je me suis raté et ça a fait des dégâts. J’ai une grosse cicatrice sur la tête qui est aujourd’hui un peu masquée par mes cheveux.

Qui étaient tes modèles?

Le premier maillot que j’ai eu était celui de Buffon, que ma mère m’avait ramené d’Italie. Lui et Beckham étaient mes modèles quand j’étais tout gamin. Mais la première fois que j’ai vraiment eu un truc pour un gardien de but c’était Eric Pédat.

Qu’aurais-tu fait si tu n’avais pas eu le foot?

Je pense que j’aurais fait des études plus poussées. J’ai toujours été attiré par le médical et je pense que je me serai orienté là-dessus. Sûrement comme ostéopathe plus que médecin parce que j’aime bien avoir un résultat immédiat lorsque je fais quelque chose.

Tu avais été repéré par Christian Lanza pour rejoindre le club avant de partir à l’Olympique Lyonnais à 16 ans. Comment as-tu ensuite rejoint Lyon?

Par l’intermédiaire de Gérard Bonneau et Yoan Loche (actuel responsable du recrutement du Servette). Ils étaient venus me voir, ainsi que plusieurs autres joueurs, et avaient été très clairs sur le fait qu’ils nous observaient. C’était une forme de test pour voir si on gérait cette pression. Ils m’ont par la suite assez vite invité à visiter le centre de formation, j’y ai passé une semaine pour venir m’entraîner. Puis dans la foulée j’ai signé un contrat aspirant à 800 euros par mois.

Que retiens-tu de tes années Lyonnaises?

J’y ai appris le travail et je pense que c’est grâce à ça que je fais aujourd’hui une carrière professionnelle. Je l’ai toujours dit : je ne suis pas le gardien le plus talentueux, à la base. Par contre j’ai toujours bossé plus que mon voisin. J’étais en concurrence avec six autres gardiens à Lyon et il fallait les bouffer.

Tu en as bouffé quelques uns jusqu’à arriver troisième gardien dans la hiérarchie du club. Comment vit-on ce statut de troisième gardien?

Franchement, quand tu es un jeune gardien c’est parfait. Je m’entrainais avec le groupe pro la semaine et jouais avec la CFA le week-end. J’ai pu faire des déplacements en Champions League, jouer des matchs amicaux. Mais après c’est sûr que vient un moment où tu commences à en vouloir plus.

Et ce plus sera venu sous la forme d’un prêt de 6 mois au Servette à l’hiver 2015 pour pallier à la longue suspension du titulaire du poste à l’époque, Roland Müller. Tu joues les 18 matchs de la deuxième partie du championnat et sera finalement vendu à ton retour de prêt au FC Bienne, alors en Challenge League. C’était une déception pour toi que l’aventure en grenat ne se poursuive pas?

C’est marrant parce que j’en parlais encore cette semaine avec Vouilloz je crois, mais ces six mois de prêt sont peut-être le plus beau souvenir que j’ai à Servette. Je pense que c’est dû au fait que je rentrais au bercail pour vivre ma première expérience en pro, alors que j’étais un peu dans une impasse à Lyon. Il y avait une ambiance extraordinaire dans le groupe, j’étais toujours avec Thibert Pont, Anthony Sauthier, Alexandre Pasche, Jocelyn Roux et j’en passe. J’ai vraiment encore plus kiffé le club à ce moment-là et mon objectif était clairement de rester à Servette. Le club souhaitait également me garder, puis il y a eu cette rétrogradation en Promotion League pour des problèmes de licence et ça n’a finalement pas pu se faire.

Je ne me voyais pas retourner à Lyon comme troisième gardien. J’ai donc appelé Joël Bats (entraîneur des gardiens de l’OL de 2000 à 2017) qui m’a assuré de son soutien pour que Lyon me libère facilement. Lugano s’intéressait à moi ainsi que quelques clubs étrangers et Bienne. Ils ont su me séduire avec leur projet. Il y avait un nouveau stade et une équipe sur le papier qui était assez folle. Le salaire correspondait également à ce que j’attendais et je m’étais mis en tête qu’il ne fallait pas que je grille les étapes, après seulement 18 matchs en Challenge League.

C’est aussi la raison qui fait que j’ai choisi Bienne plutôt que Lugano, où c’est également toujours un peu compliqué au niveau des gardiens. J’ai signé un contrat de deux ans avec une clause libératoire assez basse. Après ça a évidemment été un énorme regret par rapport à ce qu’il s’est passé là-bas. Je n’ai pas envie de revenir sur l’historique parce que j’y ai vécu des moments difficiles. Au-delà du fait de ne pas être payé c’est les menaces qui ont été compliquées à gérer. D’un autre côté j’ai bien appris à relativiser et ça m’a endurci.

Tu reviendras finalement au club la saison suivante pour ne plus le quitter jusqu’à présent. Est-ce qu’après les saisons 2016-17 et 2017-18, finies toutes deux à la troisième place de Challenge League, tu aurais pu imaginer le club faire les saisons qui ont suivi?

Au moment de revenir j’espérais que le club remonte d’ici mes deux première saisons. Ça a donc été une petite déception de ne pas y arriver plus vite. Et quand on est finalement remontés j’étais persuadé que nous serions une bonne équipe de Super League. Les deux premières saisons ont été exceptionnelles et c’est ce que j’essaie parfois de rappeler aux gens lorsqu’ils sont un peu trop critiques. À un moment donné il faut aussi mettre cartes sur table et voir qu’on est un des plus petits budgets du championnat, et ça joue pour beaucoup.

J’ai peu d’objectifs personnels, mais un de mes objectifs est de marquer l’histoire du club et pour cela il faut gagner des titres. Ce n’est pas encore le cas et on sait que c’est compliqué. Le titre en Challenge League a été important, mais il ne compte pas à ce niveau-là selon moi.

Tu es aujourd’hui l’un des derniers titulaire rescapé de la promotion en Super League. Comment vis-tu les départs de joueurs qui te sont proches?

Certains départs font plus mal que d’autres. Celui de Wüthrich à l’époque par exemple. En dehors d’être un pote c’est un mec qui m’a beaucoup appris à relativiser et à croire en moi et uniquement en moi. Ça m’a fait mal mais également aussi un peu peur quand il est parti. Je perdais quelqu’un sur qui je pouvais compter et avec qui je passais beaucoup de temps.

Et puis bien sûr Sauthier. C’est surtout la rapidité avec laquelle cela s’est fait qui a été frustrante. Mais c’est un peu l’histoire du foot. J’en ai vu venir et partir et au final tu l’acceptes. Tu ne te poses plus trop de questions. Des gars comme Sauthier c’est des potes, on ne se perd pas définitivement.

Tu as récupéré son brassard de capitaine. Comment l’as-tu appris et qu’est-ce que cela représente pour toi?

Ça s’est fait assez naturellement, sans faire de vagues. À l’image de ce que fait le club habituellement. Porter ce brassard est évidemment une grande fierté pour moi. Quand tu penses que tu allais au stade étant petit pour supporter un club dont tu te retrouves capitaine, ça fait forcément quelque chose. Après j’essaie de ne pas le prendre trop à coeur. Je faisais déjà partie du groupe des capitaines et m’occupais de pas mal de choses dont l’organisation des sorties ou parfois remettre des joueurs en place quand il le faut. Je n’ai pas changé de statut vis-à-vis du groupe.

Tu n’as jamais eu ta langue dans ta poche face aux médias. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait changer avec le brassard?

C’est une bonne question, sur laquelle je me suis déjà penchée. Est-ce que qu’un brassard doit changer l’homme que tu es? Je pense plutôt que l’on m’a choisi pour qui je suis. Je dis les choses comme elles le sont c’est vrai, et j’ai conscience que ça peut parfois déplaire. Mais pourquoi mentir? Je ne vais pas adapter mes réponses aux médias, pour leur faire plaisir. Après avec l’expérience c’est sûr qu’il y a des choses que je ne referai plus, ou différemment.

On te sent également proches des supporters. Ressentez-vous dans le groupe l’engouement qui augmente autour de l’équipe?

Complètement. J’ai par exemple l’impression qu’il y a de plus en plus de gens qui portent le maillot ou les couleurs de Servette en ville. J’ai vécu six ans à Lyon, où toute la ville supporte le club et avoir ça à Genève serait vraiment incroyable. On ressent l’engouement, on voit qu’il y a aussi plus de monde au stade et en déplacements et c’est cool. Mais en même temps c’est une pression parce qu’on sait que c’est à nous de faire en sorte que ça continue.

Pourrais-tu nous dire un petit mot sur nos deux recrues du mercato, Franz Bauer et Chris Bedia?

Alors Bauer c’est vraiment un bon gars. J’apprends à le connaître et c’est le genre de mec que j’apprécie. Ultra professionnel, mais avec un côté très déconneur et une grande confiance en lui. Et Bedia je commence aussi à le connaître, il est très proche de Bauer comme ils sont arrivés en même temps. Et puis c’est ce que j’aime au club : on a toujours recruté des gars cools, qui s’adaptent au groupe et n’ont pas la grosse tête. C’est important parce qu’on est un club qui joue beaucoup sur l’aspect humain.

Que manque-t-il aujourd’hui au club pour pouvoir franchir encore un pallier et réaliser une saison comme celle de Zurich cette année ou Saint Gall il y a deux ans?

Les infrastructures. C’est vraiment un gros problème à Genève. On ne dispose pas des conditions optimales. On a battu 4 fois le FC Zurich la saison passée, donc à un moment donné il faut aussi ce petit facteur chance. Ils ont une belle équipe, mais ils ont aussi tout qui leur réussi cette saison. Même Saint Gall maintenant recommence à marcher sur l’eau. On a eu ce côté-là avec nous lors de notre promotion en Super League, mais on ne l’a plus depuis. Ce sont des cycles et je suis persuadé que ça peut revenir.

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