Interview Juarez

Eté 1994. La petite colonie brésilienne du Servette, amputée de Sonny Anderson parti à Marseille, voit un jeune joueur de 19 ans les rejoindre. Juarez de Souza, tout juste auréolé de son titre de champion du monde U20 avec le Brésil, rejoint donc José Sinval et Renato sous le maillot grenat. Plus de 20 ans après son départ, entretien de Genève à Sao Paulo avec l’un des hommes clés du dernier titre de champion du club.

On va tout de suite rentrer dans le vif de sujet : depuis quand et pourquoi t’es-tu débarrassé de ta moustache?

Depuis un jour où, alors que j’étais en Italie depuis plus d’un an, j’avais un peu raté le rasage de ma moustache. C’était plus fin d’un côté que de l’autre. Je devais donc soit rester comme ça, soit faire en sorte que les deux côtés soit fins, soit tout couper. Et j’ai décidé de tout couper. Je me suis trouvé plus jeune sans la moustache, du coup j’ai ensuite continuer à la raser.

Tu as pris ta retraite depuis maintenant près de 15 ans. Que deviens-tu?

Je suis aujourd’hui propriétaire de deux restaurants à Sao Paulo. Je m’étais lancé là-dedans avec un ami d’enfance avec qui j’avais joué à Portuguesa. On s’était toujours dit qu’on monterait un jour un projet ensemble. Comme il avait déjà un pied dans la restauration, on a ouvert un premier établissement peu avant la fin de ma carrière. Puis, une fois à la retraite, je suis rentré au Brésil et ai commencé à me former sur le tas, en allant travailler tous les jours au restaurant.

Et depuis environ un an et demi et le début de la crise du Covid, j’ai commencé à travailler avec de jeunes footballeurs. C’est un projet qu’on a démarré avec Roque Junior (ancien international brésilien, champion du monde 2002) avec qui j’avais été coéquipier à Sienne. On s’occupe de joueurs qui ont entre 16 et 17 ans et cherchons surtout des joueurs ayant déjà un passeport européen. Le but étant au final de leur trouver des clubs en Europe.

On va revenir sur tes débuts. Comment as-tu commencé dans le foot?

J’ai commencé à jouer au foot dans la rue, comme tout le monde à l’époque. Aujourd’hui il y a de moins en moins d’espace. Les petits terrains sur lesquels je jouais n’existent plus, il y a maintenant des immeubles. J’ai ensuite rejoint Portuguesa à 14 ans, o`ù on était allé passer des tests avec 4 copains. Le club est aujourd’hui tombé en troisième division, mais a longtemps été dans l’élite. J’ai été le seul retenu et j’y suis resté jusqu’à devenir professionnel et jouer en U20 du Brésil. On a été champions du monde et c’est là qu’Andy Egly, qui jouait alors à Servette, est tombé sur un match des U20 brésilien. Je lui ai fait forte impression, il a parlé de moi aux dirigeants du club et c’est comme ça que tout a commencé pour moi en Europe, à Genève.

Avec un prêt à Yverdon à ton arrivée.

Oui, car le club n’avait le droit qu’à 3 joueurs extra-communautaires. Il y avait Jose Sinval, Sonny Anderson, Bosko Djurovsky et Renato Carioca, donc déjà 4 pour 3 places. Yverdon était à l’époque en Ligue Nationale A et Servette voulait que je m’adapte à la Suisse et c’est pourquoi ils m’ont prêté. J’y ai fait plus ou moins 6 mois où j’ai pu jouer et découvrir le championnat.

Je suis ensuite revenu après ces 6 mois et nous étions partis avec Servette jouer un tournoi en Chine, à Shanghai. Que l’on avait d’ailleurs gagné. Ma belle aventure avec ce maillot a réellement commencé comme ça.

Est-ce que d’autres clubs que Servette se sont intéressés à toi, alors que tu venais d’être champion du monde U20?

Pour dire la vérité, je sais qu’il y a beaucoup de grands clubs brésiliens qui voulaient me signer à mon retour à Portuguesa. Il y avait Vasco de Gama, Cruzeiro. Mais je n’ai pas hésité lorsque l’offre du Servette est arrivée. Je voulais découvrir l’Europe.

Que connaissais-tu de la Suisse avant d’arriver à Genève?

Rien du tout. J’avais déjà voyagé avec les moins de 20 ans, mais toujours dans le cadre de la sélection. Donc avec les dirigeants, le staff et sans la possibilité de pouvoir réellement découvrir les lieux. Et c’est vrai que de voyager et venir seul en Suisse a été dur. Je ne parlais pas la langue et il commençait déjà à faire froid et gris. Quand je suis arrivé pour signer mon contrat et passer la visite médicale, je voulais déjà rentrer au Brésil. Je ne pensais vraiment pas y arriver tout seul.

J’étais aussi tout le temps avec José Sinval et Renato lors de mes deux premières saisons. On parlait tout le temps en brésilien. Et au final leur départ a été une bonne chose pour moi parce que ça m’a obligé à apprendre le français.

Quels souvenirs gardes-tu du club?

Parfois lorsque l’on parle avec ma femme, on se dit encore tous les deux que si on devait partir vivre dans n’importe quelle ville au monde ça serait Genève. Elle a y a vécu avec moi pendant près de 5 ans et on y était vraiment bien. Je dis toujours à mes amis ici que la Suisse est un superbe pays et que Genève est magnifique. Et la ville me manque. Je n’y suis revenu que deux fois après mon départ en Italie, et plus jamais depuis mon retour au Brésil. Mais j’espère y retourner un jour avec ma famille. Montrer à mes enfants comme Genève est belle

Je me rappelle aussi du Stade des Charmilles, qui était petit mais chaleureux. On pouvait sortir après les matchs, parler avec les supporters. Ils étaient avec nous qu’on gagne ou qu’on perde. C’était vraiment une période spéciale de ma carrière.

Le maillot du Servette est celui que tu auras le plus porté durant ta carrière. Avec pour point d’orgue le titre de 1999 qui aura peut-être effacé le souvenir de la finale de Coupe perdue en 1996.

Je n’ai vraiment aucun souvenir de la finale de 1996. J’étais d’ailleurs blessé à ce moment-là. Parlons-plutôt du titre de 1999 : c’était vraiment un match extraordinaire. On jouait à Lausanne qui pouvait aussi gagner le titre, comme Grasshopper. Lausanne était une très bonne équipe, avec Celestini au milieu de terrain qui était un excellent joueur. Je me rappelle de cette pluie énorme qu’il y avait ce jour-là. Mais avec l’équipe qu’on avait on ne pouvait vraiment pas perdre ce championnat.

On a fait une saison impeccable, du premier au dernier match. C’était magnifique, il y avait quelque chose de spécial dans ce groupe. Avoir une bonne équipe est une chose, mais avoir un bon groupe est beaucoup plus difficile.

Tu auras connu, peu avant ton départ, la désillusion du barrage de Ligue des Champions perdu contre Sturm Graz.

Ça a été très dur parce que je voulais quitter le Servette par la grande porte. Le club savait déjà à ce moment-là que j’allais partir à Lecce, et Gérard Castella, qui est le plus grand coach que j’ai connu à Genève, m’a quand même fait jouer. Il a toujours eu confiance en moi. J’avais beaucoup de pression, je voulais vraiment bien faire. J’avais d’ailleurs marqué le but du 1-0 (50è) au match retour. Si le score était resté comme ça on aurait été qualifié pour la Ligue des Champions. Mais ils ont égalisé peu après (54è). Ça m’a vraiment fait mal, j’en fait encore des cauchemars la nuit.

On a tous mangé ensemble après le match. Je me rappelle qu’Eric Pédat avait pris le micro. Il avait dit que si quelqu’un avait pensé que j’avais déjà la tête en Italie, je leur avais prouvé le contraire ce soir. J’ai toujours essayé d’être le plus professionnel et le plus sérieux possible, et ses mots m’ont touché et me touchent encore aujourd’hui. Je n’ai jamais triché sur le terrain.

Quels sont les joueurs au club qui t’ont le plus impressionné?

J’ai passé presque 6 ans au club donc j’ai vu beaucoup de joueurs passer. Le premier qui me vient à l’esprit est bien sûr José Sinval. Celui avec qui j’ai le plus joué et qui m’a vraiment marqué est David Sesa. Un très grand joueur, avec une superbe carrière. Je pourrais encore te citer des Fournier, Lonfat, ou Potocianu, avec qui j’ai lié une grande amitié.

Tu étais un adepte du strap sur le nez. C’était vraiment utile?

Oui, ça m’a beaucoup aidé. Je faisais des allergies et notre masseur, Jean-Claude Giovanola, m’avait conseillé d’essayer. J’avais l’impression de mieux respirer avec. Je dois dire que ça bien marché pour moi.

Tu nous a donc ensuite quitté pour la Serie A italienne et Lecce. Est-ce que le passage du championnat suisse au championnat italien a été difficile?

Pas tant que ça parce que je suis arrivé en Italie en étant vraiment prêt physiquement, comme nous avions déjà repris avec Servette. Je suis arrivé trois semaines avant le début du championnat et j’étais bien au-dessus des mes coéquipiers au niveau physique. Ça a aidé à mon intégration dans l’équipe. Après c’est évident que c’est un championnat et un jeu beaucoup plus durs qu’en Suisse.

Mon premier match a été un Lecce-Milan AC. J’avais en face de moi George Weah, Oliver Bierhoff, Leonardo. Ils avaient aussi Shevchenko, Costacurta, Maldini. Imagine pour moi qui jouait mon premier match en Italie. On était à la maison, au stade Via del Mare de Lecce et on avait fait 2-2. C’était incroyable.

Tu as fait plusieurs clubs en Italie (Lecce, Como, Bologna, Siena, Udinese). Quel est celui où tu t’es senti le mieux?

J’étais très bien à Lecce. Les gens là-bas sont un peu comme au Brésil. Accueillants et aidants. Ils sont là pour toi si tu as besoin de quelque chose. J’y ai passé 3 ans, je suis allé au bout de mon contrat. Au niveau du foot les choses ont été plus intéressantes à Bologna ou Udinese, mais au niveau de la vie Lecce était vraiment le meilleur endroit.

Pour un brésilien on mange mieux en Italie ou en Suisse?

On peut manger bien partout, par contre c’est vrai que la nourriture italienne est merveilleuse. C’était difficile au début en Suisse, mais une fois que j’ai découvert des endroits qui me plaisaient ça a été. Ma femme me faisait beaucoup à manger à la maison. Et on a aussi connu d’excellents restaurants. Il y avait une trattoria où l’on allait souvent avec l’équipe, et puis la caravelle au Café Restaurant de l’Aviation. Je dois retourner y manger le jour où je reviendrai à Genève!

Tu as arrêté ta carrière en 2006 alors que tu étais à Udinese et connaissais des problèmes physiques.

Oui, et le club jouait une grosse saison, avec la Ligue des Champions, où j’avais joué 3 matchs. Mais j’avais des soucis physiques et les médecins au club n’étaient pas les meilleurs que j’ai connus. Ils ont dû m’envoyer faire des tests à Bologne pour découvrir ce que j’avais. Et lorsque j’ai pu commencer mon traitement, les médecins m’ont dit qu’il était déjà un peu tard. J’ai encore mal aujourd’hui, et je n’ai jamais pu rejouer un match de foot avec de l’intensité. J’ai donc dû mettre un terme à ma carrière à ce moment-là.

Est-ce que tu suis encore les résultats de tes anciennes équipes?

Oui grâce à Internet. Je vois parfois des matchs d’Udinese sur la télévision brésilienne, et sinon je regarde les résultats. C’est par contre plus compliqué de voir des matchs du Servette ou de Lecce qui est actuellement en Serie B.

Qu’avez-vous pensé au Brésil de la sélection en équipe nationale d’Arthur Cabral?

De qui?

Arthur Cabral, l’attaquant de Bâle qui a été séléctionné en remplacement de Mateus Cunha pour les matchs du mois d’octobre.

Je n’ai jamais entendu parler de lui. Il joue à Bâle et a été appelé en équipe nationale du Brésil?

Oui. Il a 23 ans et joue à Bâle depuis 3 saisons.

Incroyable. Je ne connais pas du tout le joueur donc je ne vais pas juger de ses qualités, mais le message envoyé au Brésil en sélectionnant un joueur comme lui n’est pas très bon. Un joueur de Bâle inconnu au pays aurait plus sa place en sélection qu’un joueur du championnat local? C’est bizarre.

Aujourd’hui, un joueur qui vaut 5 millions si il est sélectionné en équipe nationale, même en ne jouant que dix minutes sa valeur triple et tout le monde y trouve son compte, que ce soit le FC Bâle ou la Fédération brésilienne. C’est sûr qu’il sera bientôt vendu en Allemagne ou ailleurs pour une belle somme. En tout cas bonne chance à lui et porter le maillot national est toujours un sentiment magnifique. Et si il est là c’est qu’il doit être un très bon joueur.

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