Interview Paul Harrison

Il fait partie de ces personnes que tout habitué de la Tribune Nord et des déplacements a forcément croisé une fois. Ce Londonien de naissance et Genevois d’adoption est un exemple de résilience et d’adaptation. Solaire et toujours souriant, rencontre avec Paul Harrison, le plus grenat des sujets de Sa Majesté.

Pourrais-tu commencer par te présenter?

Je m’appelle Paul, un Londonien sourd qui vit à Genève par intermittence depuis 2019 et est tombé amoureux du Servette de manière inattendue. Je suis un ancien journaliste qui travaille maintenant pour un organe de presse. Les gens qui me connaissent bien pensent que je suis entrain de devenir un vrai fanatique du Servette, ce qui aurait été inimaginable quelques années en arrière.

Es-tu né sourd? Et comment s’est déroulée ta jeunesse?

Je suis né sourd, de parents sourds. J’ai aussi un frère qui l’est également. Grandir sourd a donc été tout à fait naturel, je pensais même que c’était la norme. J’ai été dans une école pour enfants sourds, ai donc eu des amis sourds et des proches qui connaissent la langue des signes. C’est à l’âge de cinq ans que j’ai réalisé que tout le monde n’était pas sourd et ne savait pas signer. Et puis j’ai des parents qui m’ont toujours soutenu, m’ont permis d’avoir une bonne éducation.

J’ai été dans une école pour pour malentendants, mais nous suivions certains cours dans des écoles normales pour nous donner confiance à travailler avec des entendants. Ça m’a beaucoup aidé pour l’Université. J’étais le seul sourd de ma classe et ai eu à m’adapter dans ma manière de communiquer et être plus proactif dans mes relations aux autres. Cela peut paraître simple, mais ça a vraiment été compliqué au début. Il faut du courage pour aborder des gens entendants en tant que sourd. C’est une expérience qui m’aide encore maintenant dans ma carrière, au stade ou dans ma vie en général.

Trouver du travail lorsque j’étais plus jeune me demandait beaucoup d’efforts et j’ai fait face à nombre de barrières et de préjudices. Ça m’a demandé beaucoup de patience, de résilience et de confiance en moi pour faire ce dont j’avais envie. Certaines personnes ont des idées préconçues négatives sur la surdité. C’est triste mais bien réel et je prends un malin plaisir à prouver le contraire. Je sais que je ne peux pas entendre, mais je peux faire n’importe quoi à part cela.

Comment vis-tu ta surdité au quotidien?

Ça ne m’affecte pas plus que ça, à part bien sûr pour la communication. J’ai également la chance de travailler pour une entreprise qui me fournit des services d’interprétation en langue des signes pour me permettre de faire mon travail. J’ai cependant besoin d’apprendre à lire le français sur les lèvres et à apprendre à signer correctement en français. Mais je peux déjà lire des phrases de français basiques sur les lèvres.

Te rappelles-tu de ton premier contact avec le football?

Mon père est un grand fan de foot, bien qu’il soit plutôt fan en fauteuil dans son salon. Nous avons regardé quantité de matchs ensemble devant la télé. On se parle toujours via WhatsApp ou FaceTime lorsque l’on regarde le même match, dans des pays différents.

La Coupe du Monde de 1990 est mon premier vrai souvenir de football. J’avais quatre ans à l’époque et mon père me permettait de me coucher tard pour certains matchs. Ma mère est irlandaise et m’a fait supporter l’équipe de Jack Charlton et pas l’Angleterre, ce qui a été une agréable suprise. Je me souviens parfaitement bien lorsque le gardien irlandais Pat Bonner a repoussé un pénalty dans un match crucial face à la Roumanie. Ça m’avait marqué. J’ai aussi évidemment des souvenirs de Gazza (Paul Gascoigne), Maradona et des iconiques stades italiens.

Supportais-tu un club en particulier?

J’étais un peu un footix en grandissant, j’ai changé d’équipe à plusieurs reprises! Mais une chose est sûre : j’adore le foot.

Pourquoi et quand t’es-tu installé à Genève?

J’ai déménagé à Genève en 2019 pour un détachement de six mois à la salle de presse de l’European Broadcasting Union (EBU) afin de développer ma carrière et d’améliorer mes compétences en français. Je n’ai, pour différentes raisons, jamais étudié le français à l’école, mais ai commencé à l’apprendre en 2017 avec un super prof qui connaissait le language des signes britannique et français. Travailler en France a toujours été un objectif alors quand l’offre de l’EBU est arrivée je me suis dit pourquoi pas! On parle français à Genève et c’est une ville internationale donc je peux aussi m’exprimer en anglais. Je suis rapidement tombé amoureux de la ville, y ai rencontré de supers amis et créé de nombreux souvenirs. Pour lesquels Servette a d’ailleurs joué un rôle! J’était vraiment triste lorsque j’ai dû retourner à Londres au terme de ce premier déploiement.

Puis, durant la crise du COVID, j’ai pris conscience que la vie était trop courte. Et je me sentais un peu déprimé après des années de travail sur des reportages démoralisants. Il me fallait un nouveau challenge. C’est là que j’ai trouvé un poste intéressant, toujours dans la même organisation et suis donc revenu à Genève en 2021 pour occuper mon poste actuel.

Quand es-tu venu pour la première fois au Stade?

En 2019 pour le retour en Super League, un Servette-Sion. Ce sont des collègues de travail, qui sont ensuite devenus des amis, qui m’y ont emmené. Je me rappelle de cette atmosphère, des banderoles, du cortège de la SG avant le match. Les échanges entre Servettiens et sédunois, les fumigènes, plein de petits détails. Je savais que j’allais y revenir!

Tu es présent à presque tous les matchs à domicile ainsi qu’en déplacements. Comment cet amour est né?

Le premier match m’avait vraiment fait forte impression. J’ai ensuite progressivement assisté à quelques matchs à domicile avec mes collègues et fait mon premier déplacement à Lucerne. J’ai eu une période personnellement difficile fin 2019 et j’ai senti que le club m’aidait à passer ce cap. La fièvre du Servette m’a vraiment prise au pire moment, alors que je m’apprêtais à rentrer à Londres!

De retour en Angleterre j’avais réservé un aller-retour pour Genève mi-mars 2020, afin de venir voir un Servette-Lugano. C’était juste avant que le monde ne s’arrête à cause du COVID. Arrivé à Genève, mes amis m’ont écrit pour me dire que le match était repoussé suite aux nouvelles règles du Conseil Fédéral. J’étais dégoûté, bien que j’ai compris la raison.

Durant cette période bizarre, je regardais les matchs du club en ligne et avais acheté quelques produits dérivés alors que j’étais à Londres. Mais regarder nos matchs dans des stades vides ou avec un nombre de spectateurs limité était étrange. Ce n’est plus la même chose. À mon retour en 2021, l’un de mes premiers achats a été mon abonnement en Tribune Nord. J’ai commencé à rencontrer plus de monde et me lier d’amitié avec certains. Une chose en entraine une autre!

J’ai également un abonnement général CFF qui me facilite la tâche pour suivre le club à travers le pays. L’expérience des déplacements en train est vraiment unique! Il y a une camaraderie, on y rencontre d’anciens et de nouveaux visages. C’est une super façon d’explorer ce magnifique pays tout en passant un bon moment avec un groupe de gars formidables. Et ça a évidemment renforcé ma relation au club.

Qu’est-ce qui rend ce club spécial à tes yeux?

Il y a un grand esprit de communauté, avec un noyau de fans loyaux et une passion authentique. C’est un changement agréable par rapport à certains championnats. La communauté servettienne sur Twitter m’a aussi fait sentir que j’étais le bienvenu. J’y ai rencontré des amis de cette façon, comme toi. C’est d’ailleurs comme cela que l’on s’est rencontré pour la première fois dans le train pour la Tchaux!

Il y a également des joueurs, passés ou actuels, qui savent ce que représente jouer pour ce club. Ils partagent leur passion aux fans. Des gars comme Frick, Sauthier, Mbabu ou Imeri.

Et le club a cette immense histoire aussi. Ce qu’il s’est passé durant les années 2000 et 2010 était terrible. Mais je suis heureux que le club soit de retour à la place qui est la sienne.

Comment ressens-tu l’atmosphère en Tribune Nord? En tant que personne entendante, il est difficile d’imaginer quelle est ta perception.

J’aime tellement cette ambiance. C’est une expérience sensorielle! Tu peux sentir, gouter, toucher et ressentir l’atmosphère. Les tambours et les haut-parleurs aident aussi au niveau du rythme. J’arrive à ressentir les vibrations et utilise mes yeux pour entendre en regardant la dynamique des supporters.

Cependant, j’essaie toujours de déterminer quelles sont les chansons qu’ils chantent. Les deux seules que j’arrive à distinguer sont le Cé Qu’è Lainô d’avant-match ainsi que le Oh Maman.

J’ai aussi de la chance d’être en compagnie de supers gars dans ma partie de la tribune. Ils me font me sentir à l’aise et m’incluent dans leurs groupes sur WhatsApp, me tiennent informé de ce qu’il se passe.

Tu assistes aussi régulièrement à des matchs à l’étranger. Quelles ambiances t’ont le plus impressionné?

J’ai de la chance d’avoir un travail qui me permette de voyager régulièrement. Et de vivre à Genève avec d’excellentes connections au niveau des transports. Ça me permet d’assister à pas mal de matchs, dont certains m’ont laissé une impression durable. J’ai été à quelques derbies de Glasgow (Celtic v Rangers). L’atmosphère était très chaude. Et tellement électrique lorsque le Celtic gagne!

Quelques années auparavant j’ai aussi assisté à une victoire de Dortmund contre l’Eintracht Frankfurt en Bundesliga. Voir le mythique mur jaune d’aussi proche était merveilleux.

Le dernier match auquel j’ai assisté à l’étranger était la demi-finale d’Europa League à Rome, entre l’AS Roma et Feyenoord. J’ai réussi à me procurer un ticket dans la Curva Sud. La Roma avait besoin d’une victoire pour se qualifier. Il y avait énormément d’effervescence et de passion plusieurs heures avant le début du match. Avec des fans qui encourageaient leur équipe depuis les bars et les rues et ont emmené ces émotions à l’intérieur du stade. Je pense que les supporters ont joué un grand rôle dans la victoire de leur équipe ce soir-là.

Comment est ta vie sociale à Genève? Nous ne sommes pas réputés comme étant les plus accueillants avec les expatriés…

Ça se passe plutôt bien! J’adore me balader en ville, découvrir des bars, des cafés et des restaurants. Il y a quelques endroits où je vais régulièrement et où je me sens toujours le bienvenu. Je passe aussi pas mal de temps à Lyon, où vis ma copine. Malheureusement pour elle, elle vit et travaille du mauvais côté du Rhône! Nous nous sommes rencontrés sur une application. Trouver le bon équilibre entre le Servette et elle demande beaucoup de planification. Ce n’est pas toujours facile, mais ça marche bien pour le moment. J’essaie de la convaincre de supporter les Grenat, mais c’est une tâche difficile!

Quels sont tes objectifs de supporter pour cette saison 2023-2024?

Déjà d’assister à un match européen du club à l’étranger. J’espère que nous en verrons plusieurs à partir du mois de septembre! J’irai à Genk si les conditions sont propices.

Ça serait aussi génial de voir Servette gagner la Coupe de Suisse et être encore compétitif en championnat. Et je suis également très enthousiaste quand aux perspectives de l’équipe avec René Weiler.

Et enfin, Geule Blansh a raison: avoir au moins 10’000 spectateurs à chaque match à domicile serait top!

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